Croy – Romainmôtier 2017 : une vadrouille pour faire connaissance.
Ce sera une vadrouille comme les autres ou presque car organisée dans le but de se rencontrer entre adultes concernés personnellement par l’autisme ou qui s’y intéressent de près.
Nous avions décidé via les réseaux sociaux et autres mails de nous retrouver pour une petite marche et un pique-nique dont le thème serait l’emploi et les personnes autistes.
J’ai pris grand soin en préparant cette Première de limiter au maximum les obstacles anxiogènes afin de faciliter la rencontre. J’ai fait un programme complet avec des horaires précis, j’ai prévu la place du pique-nique, trouvé un couvert en cas de pluies. J’ai décris les variantes et les solutions de repli avec soin, donné mon mail et mon numéro de téléphone (je déteste le téléphone ! ) pour pouvoir répondre à toutes sortes de questions histoire de rassurer les plus hésitants. Les échanges furent nombreux, les problématiques soulevées parfois compliquées le tout dans un élan constructif.
Malgré le choix de la date (un jour de semaine) et à l’éloignement (Croy-Romainmôtier) un petit groupe s’est constitué tranquillement. Au total nous serions six. Pas mal. Bien assez pour maintenir ce projet. Aux soucis d’avoir un projet cohérent doublés par l’envie d’être adéquate pour chacun, s’additionnait la peur d’être jugée par ses pairs.
L’enjeu était important. Une rencontre non virtuelle pour un groupe constitué de personnes autistes qui ne se sont jamais vues, dans un environnement inconnu et dans un objectif novateur n’a rien d’une banale sortie entre potes, ni même d’une sortie hebdomadaire de randovillage. Il convient pour cette première que tout se passe bien afin de pouvoir reconduire ces rand’otistes le plus souvent possible.
C’est donc avec beaucoup de soin que me suis préparée. Romainmôtier m’accueille chaque année et ce printemps déjà quatre fois. Les répétitions générales n’ont donc pas manqué. J’y connais par coeur non seulement les chemins pédestres mais aussi le trajet et les horaires de train pour m’y rendre et la maison du Prieur pour y manger la tarte. J’ai donc toutes les raisons de ne pas stresser et de me sentir à l’aise en terres connues. Tout cela s’annonce plutôt bien.
C’est très important que tout commence dans le calme et je me donne les moyens d’être le plus zen possible. Chacun va devoir faire au mieux pour lui même. Elsa qui habite Bex ne changera pas ses habitudes et s’y rendra en voiture et moi je ne changerai pas les miennes et prendrai le train.
Toujours pour me mettre à l’abri du stress, je double mes alarmes concernant mes routines du matin et j’ajoute une sonnerie cinq minutes avant l’heure du rendez-vous, pour ne surtout pas oublier de me concentrer juste avant de descendre du train.
Tout se passe exactement comme prévu. Et c’est dans le train que je croise Angèle que je connais bien. Je m’installe à ses côtés et nous devisons en toute quiétude mais avec passion sur nos échanges virtuels de la veille. Mon téléphone nous interrompt de manière impromptue et je m’en veux de cette intrusion technologique dans notre conversation animée et m’empresse de lui boucler le bec. Ca c’est fait. Je ne me demande même pas pourquoi il sonne.
Quand tout-à-coup une question de géographie appliquée me taraude. On vient d’annoncer au micro la gare de Bretonnières. Je suis un brin surprise car quand même j’ai toujours pensé que Bretonnières se trouvait après Croy-Romainmôtier et non avant. C’est fou ça, depuis le temps que je viens que je puisse encore être surprise par l’ordre des choses. J’essaie de me rassurer, il m’arrive si souvent de paniquer pour rien du tout que c’est surement le stress qui me joue un tour. Je tente un exercice mental extraordinaire, me remémorer toutes les gares dans l’ordre de La Sarraz à Croy afin de bien m’assurer que … que je n’ai pas raté un trux ! Exercice vite fait! La Sarraz – Arnex – Croy – Bretonnières…
NON MAIS J’Y CROY PAS !!!!
Nous avons oublié de descendre ! Oublié de descendre du train! Mais comment est-ce possible ?
Dans ma tête c’est le blackout total. Et je me retrouve machinalement sur le petit quai de Bretonnières. Mes pieds n’en font qu’à leur tête et ma tête se comporte comme un pied. La pa-nique !! Les mots viennent vite mais dans le désordre dans ma tête vide, des mots du genre à me ressaisir, des mots qui mis bout à bout donnent quelque chose comme : « c’est fait c’est fait! Ou cherche une solution au lieu de tourner en rond ! » Angèle de vibe voix les remet dans l’ordre.
Toutes les solutions me passent par la tête. Trouver un taxi (en pleine campagne ça risque d’être difficile) Prendre le train dans l’autre sens (il faut attendre plus de 50 min) Courir ventre à terre jusqu’à Croy (j’arriverai en même temps que le train) Héler une voiture qui passe ! Tenté mais sans succès. Eureka mais c’est bien sûr ! Appeler ! Appeler les participants avec mon téléphone ! En cas d’urgence cette fonction de mon smart phone quand même. Je dois bien pouvoir faire ça. Non de non ! J’appelle.
Je vous avoue que c’est à ce stade de l’histoire que je comprends à quel point sociabiliser entre pairs quand il s’agit d’autisme équivaudrait à vouloir monter une chorale de sourds:
J’appelle Frédéric qui n’est pas à la gare de Croy, avec un autre participant il a pris un itinéraire secondaire et se trouve malgré lui à plus de 10 km de notre point de ralliement. Je ne vais pas médire en disant qu’il est perdu mais disons qu’il n’est pas à l’endroit exact où il avait prévu d’être à cette heure là. Seule Elsa a réussi son coup. Elle attend en se demandant ce qui ne joue pas.
Juste au moment de voir arriver le train elle a validé son ticket de parking rendant la voiture inutilisable à ses yeux. Frédéric nous prendra au passage si son GPS veut bien nous trouver. Quand au dernier participant nous n’auront pas de nouvelles. Personne n’ayant son numéro j’en reste toute chiffonnée. Est-ce que ne voyant personne venir il a décidé repartir ? Attend-il toujours sous une voûte ? N’est-il jamais arrivé ?
Après quelques valses hésitations tout à fait ordinaires pour nous autres extraordinaires nous nous sommes retrouvés enfin !
Ceci dit vu l’éclat de rire général qui a perduré tout au long de la journée nous dirons simplement que nous nous sommes trouvés. Il a flotté dans l’air, beaucoup de joies et de rires. Et nous n’avons pas oublié de parler de l’emploi et de l’autisme. Enfin presque! Combien d’années que je n’ai pas ri d’aussi bon coeur ?
2017, Pascale Madelon